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1) Vendredi 30 avril dernier, la Conférence des Evêques de France (CEF) a publié sur son site Internet un dossier intitulé « L’Eucharistie, un mystère », présentant, à l’occasion de la publication prochaine en France du Missel romain (édition 2020), les différents textes fondateurs : la lettre encyclique du pape Paul VI sur la doctrine et le culte de la Sainte Eucharistie, du 3 septembre 1965, la lettre encyclique du pape Jean-Paul II « Ecclesia Eucharistia » [L’Eglise vit de l’Eucharistie] sur l’Eucharistie dans son rapport à l’Eglise en date du 17 avril 2003 et l’exhortation apostolique post synodale « Sacramentum Caritatis » du pape Benoît XVI sur l’Eucharistie, source et sommet de la Vie et de la mission de l’Eglise, du 22 février 2007. Il n’est pas possible dans un éditorial aussi court de pouvoir commenter ces trois textes, qui expliquent très précisément les positions des responsables au Vatican de l’Eglise catholique sur la célébration eucharistique. Ce dossier ne mentionne pas encore la date à laquelle s’appliquera le Missel Romain pour l’Eglise catholique en France.

2) Contrairement aux « directives » du pape Paul VI, qui, dans son encyclique ci-dessus, s’était élevé contre les « personnes qui parlent ou écrivent » sur les célébrations eucharistiques, et dont « certaines opinions troublent les esprits des fidèles en causant une grande confusion d’idées touchant aux vérités de la foi », Marcel Légaut, dans « Patience et Passion d’un croyant », (Ed du Cerf 2011, p. 104 et sq), en réponse à la question de Bernard Feillet l’interrogeant sur la « différence entre une célébration de l’Eucharistie présidée par un prêtre avec quelques catholiques chez l’un d’entre eux, et la réunion d’une petite communauté protestante célébrant la Cène » expose avec clarté un point de vue différent de celui du pape : « Tout dépend de l’esprit dans lequel les uns et les autres célèbrent la Cène. L’essentiel est qu’ils le fassent dans l’esprit même que les disciples ont connu quand ils étaient au Cénacle à prendre leur dernier repas avec Jésus. L’essentiel est qu’ils célèbrent la Cène, (…) pour que leur foi grandisse avec leur intelligence de ce que Jésus a vécu en ce moment solennel où toute sa vie se concentrait et s’accomplissait. Mais, me direz-vous, et la présence réelle ? Je pense pour ma part que lorsque les disciples étaient autour de Jésus le dernier soir, ce n’est pas à « la présence réelle dans le pain et le vin » qu’ils pensaient. Nous avons à en faire autant. La messe n’est pas l’opération spécialement instituée pour fabriquer un sacrement.» 

L’Eucharistie ne doit pas être séparée de la Cène, et la Cène ne peut pas être séparée de la vie de Jésus qui l’a préparée et rendue possible, de la mort qui en fut l’occasion, de tout ce qui s’est passé après et qui en a été la confirmation singulière. Agent de l’unité des disciples et de leur croissance spirituelle, la célébration eucharistique est nécessaire pour la persévérance et le rayonnement dans la foi des communautés chrétiennes. C’est ce qu’ont compris les premières générations chrétiennes – et bien avant qu’on ait construit une doctrine théologique pour fonder la messe, pour en préciser les modalités, pour rendre compte de cette présence dont les chrétiens se nourrissent en communiant, comme Jésus se nourrissait de la volonté de son Père. C’est ce que doivent pouvoir réaliser quelques chrétiens lorsqu’ils se réunissent au nom de Jésus et désirent être en union avec toute l’Eglise. »

3) Personnellement, je partage la conviction exprimée par Bernard Besret dans son opuscule « Propos sur la Liturgie », au dernier chapitre : « La liturgie comme célébration de l’utopie », (éditions de l’Epi, septembre 1970), que (…), lors des célébrations eucharistiques, « nous faisons la trêve pendant quelques heures, nous mettons une sourdine à toutes nos haines, nos divisions, …, nous réveillons l’amour de toutes les torpeurs, les inerties, les indifférences dans lesquelles il (le monde nouveau) s’appesantit, pour vivre cette merveilleuse utopie qui est au cœur du message chrétien parce qu’elle est la bonne nouvelle de l’Evangile, à savoir qu’en Jésus-Christ, nous sommes libérés de tous nos esclavages. Quand nous communions au pain et au vin, c’est au monde nouveau que nous prophétisons, non pas seulement en paroles mais déjà en actes. Et le fait de vivre ainsi prophétiquement l’utopie de la bonne nouvelle doit nous convertir à la vivre dans l’incarnation quotidienne de nos vies ». 

Quand j’ai lu le texte de François Cassingena-Trévedy intitulé « De la fabrique du sacré à la révolution eucharistique », avec en sous-titre « Quelques propos sur le retour à la messe », dans son livre « Chroniques du temps de peste » paru en mars dernier chez Tallandier, j’ai également pensé au texte « Eucharistie pour un prodigue », paru dans « Christ Blues », avec comme sous-titre « Stèles pour Xavier Grall », recueil de Jean Lavoué (publié aux Editions Golias en mai 2012). Et je me suis dit que ces deux textes étaient en résonance avec le dernier chapitre « La liturgie comme célébration de l’utopie » du petit livre de Bernard Besret. 

3-1) « Eucharistie pour un prodigue » de Jean Lavoué. Il a pour support la parabole du fils prodigue (Luc 15, 11-32). Je ne ferai que des citations de ce texte, qui a déconstruit le bel ordonnancement des célébrations eucharistiques formulées par leurs auteurs, pour imaginer l’utopie de la bonne nouvelle dans l’incarnation de nos vies, là où Dieu nous attend :

- « Qu’est-ce que l’eucharistie si elle n’est signe de ce chemin d’une perte à nous-mêmes, à nos croyances, à nos plus belles assurances, pour entrer dans ce retournement d’une fête qui n’exclut pas nos morts, nos insuffisances, nos échecs, mais les assume ».

- « Présence réelle, il eut fallu parler aussi bien d’absence réelle ! Quelle prophétie pourrait naître d’une vie délibérément retenue, maîtrisée ? Mais celle qui va à sa perte, le sachant ou non, emportant avec elle la part qui lui revient, n’est-ce pas elle qui habite déjà la maison du Père ? C’est elle qui fait vibrer déjà au loin les instruments de la fête ! Le frère aîné, lui, ne perçoit que trop bien les signes auxquels il ne prend point part, le mouvement des cœurs auquel il n’accède pas ».

- « L’eucharistie est évènement, un déplacement personnel : tout sauf un rite que l’on répète ; aventure vécue dans l’abandon d’elle-même. Il faut savoir partir au loin, très loin des obligations du travail quotidien et des champs auxquelles s’attache, refusant de se risquer, le grand frère. (…) lui qui avait tout prévu, jusqu’à son dernier jour ! (…) L’éternité possédée, avec son rituel fixé, sa garde rapprochée. Mais son père n’est pas là où il se croit. Il n’est plus dans le temple, ni dans la maison. (…) ».

3-2) « De la fabrique du sacré à la révolution eucharistique » de François Cassingena-Trévedy, (l’utopie doit donc être ferment de révolution dans la société des hommes car elle annonce un monde nouveau, in La liturgie comme célébration de l’utopie, dans le dernier chapitre du petit livre de Bernard Besret, Propos sur la Liturgie, déjà cité). Je ne reprendrai, comme je l’ai fait précédemment, que des citations de ce texte.

- « L’Eucharistie n’est pas quelque chose, pas même la chose la plus précieuse qui soit au monde : elle est quelqu’un. Et ce n’est pas tout : elle est nous, car « Ceci est mon corps » (Mt 26,26), (…) doit être sans cesse (…) éclairé par l’affirmation paulinienne : « Or, vous êtes, vous, le corps du Christ » (1 Co 12, 27). Peut-être la véritable « institution » de l’Eucharistie serait-elle à chercher davantage qu’on ne le fait d’ordinaire dans la parole de Jésus lui-même : Quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là au milieu d’eux.   (Mt 18, 20). (…) Si l’Eucharistie est « provoquée » par notre décision de vivre ensemble et non par notre instinct grégaire, l’on saisit alors l’importance fondamentale de ce que nous mettons en commun, de ce que nous avons en commun, ou plutôt de ce que nous sommes en commun, et qui est proprement l’Eglise ».

- « En réalité, ce n’est pas le prêtre, encore moins le prêtre seul, qui « fait » l’Eucharistie mais l’Eglise. Le prêtre (…) est le coordinateur et le serviteur de l’action eucharistique à laquelle toute la communauté chrétienne collabore. (…) Il est celui qui porte le souci de la vie eucharistique du Peuple de Dieu dans l’exercice concret de la charité dont l’Eucharistie est le sacrement. ».

- « Les églises vont ouvrir à nouveau leurs portes (…). Vont-elles ouvrir seulement pour un entre-soi confortable, (…) ou bien vont-elles s’ouvrir pour un questionnement et un approfondissement de nos énoncés traditionnels, pour une interprétation savoureuse de la Parole de Dieu loin de toute réduction moralisante, pour une ouverture efficace aux détresses sociales, pour une perméabilité réelle aux inquiétudes, aux doutes, aux débats des hommes et des femmes de ce temps, en un mot pour la révolution eucharistique ? »

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Et vous, quelle célébration eucharistique voulez-vous vivre en communion avec … ?

Jean-Jacques Chevalier