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Marcel Légaut est plus que jamais actuel !

Cette année 2020, nous activons en nous la mémoire vivante de Marcel Légaut à travers deux anniversaires. Il y a trente ans qu’il nous quittait et cinquante ans que paraissaient ses deux grands livres, œuvre de sa longue maturation humaine et chrétienne : Introduction à l’intelligence du passé et de l’avenir du christianisme (1970), suivi un an plus tard de L’homme à la recherche de son humanité. Sa démarche spirituelle peut-elle continuer à inspirer nos contemporains ?

Le monde d’aujourd’hui comme il va...

Nous vivons dans un monde instable, incertain et dangereux. Un capitalisme puissant y fait la loi, les échanges économiques sont bouleversés par la mondialisation, le monde entier est aux prises avec une grave crise écologique et migratoire, communications et fake news circulent en abondance désordonnée sur la toile au point de provoquer une crise de confiance dans la parole d’autrui, un scepticisme rampant et insidieux s’installe dans les têtes des citoyens et de responsables politiques de l’Union Européenne, les valeurs sûres portées au pinacle de notre temps sont la consommation et le bien-être individuel, les religions instituées, en perte de vitesse numérique, se replient dans leur cocon, etc..

Dans ce contexte, beaucoup d’individus sont désemparés, se sentent impuissants, sombrent dans la résignation, la révolte ou l’amertume, et se réfugient dans leurs frontières familiales, claniques, sociales, nationales, religieuses. Heureusement, de nombreuses personnes et groupes résistent à la morosité, à l’inconscience, à la passivité. Comment éveiller ou réveiller les autres ?

Légaut, sel et ferment pour les hommes et les femmes du XXIème siècle

L’éminent service que Légaut peut leur rendre, en ce début du XXIème siècle, c'est de les appeler à prendre en main et au sérieux leur vie personnelle et sociale sans tricher, sans s’évader, sans pratiquer la politique de l’autruche, de leur proposer une démarche pour s’approprier d’une manière créative les événements et les situations de leur existence pour en faire des tremplins de maturation, d'approfondissement et d'accomplissement en tous domaines. Sur ce chemin d'humanisation, certains appels de Légaut peuvent aider à conjurer certains traits de mentalités négatives et à développer un esprit de liberté intérieure, de solidarité et de fraternité.

 

 -Premier appel. Face à une tendance actuelle au découragement, au repli sur soi, au sentiment d’impuissance et de résignation passive, la démarche spirituelle de Marcel Légaut est foncièrement anti-fataliste. Pour lui, il n’y pas de fatalité qui pèse sur le monde, sur les individus, sur les sociétés ni sur les voies spirituelles. Certes, Légaut est réaliste. Il ne rêve pas à un monde idéal. Il est vivement conscient du mal qui s’étale inéluctablement et invinciblement dans les sociétés et au cœur de l’homme sous toutes ses formes (voir Méditation d’un chrétien du XXème siècle (MC), p. 305, 306-309). Cependant, il invite à lutter contre le mal sans relâche. La source de ce combat permanent et de sa fécondité, c’est la foi en soi-même et la foi en autrui. Elles permettent à l’homme de ne pas subir la réalité, de ne pas la fuir, de ne pas s’en accommoder, de ne pas désespérer ni de soi ni d'autrui ni de l’avenir de notre planète (Devenir soi (DS), p. 37, 38, 64 ; L’homme à la recherche de son humanité (HRH), p. 23-24). En cela réside, pour Légaut, la grandeur de l’homme (MC, p. 306, 309). Chez lui, il y a des échos de Pascal, de Gandhi…

-Deuxième appel. Cette attitude antifataliste appelle à la responsabilité de chacun dans le champ particulier où il vit. La spiritualité de Légaut est enracinée dans le réel, elle n’est pas éthérée. Cela implique pour l’homme de découvrir peu à peu ce que Légaut appelle sa mission propre, ce que l'homme doit être et faire pour devenir lui-même, en réponse aux exigences intimes qui montent en lui, et qu’il a à découvrir par lui-même. Il n’y a pas de critères objectifs. Chacun doit trouver sa voie propre. La fécondité de chaque vie est la conséquence de la fidélité à sa mission, alimentée par sa vie intérieure (HRH, p. 204) et non par une simple idéologie.

-Troisième appel.  Penser juste se traduit par une recherche permanente de lucidité exigeante sur soi-même, sur les idées ambiantes, sur les doctrines, sur les idéologies, y compris celles de sa communauté spirituelle. Cette lucidité, qui est à la base de la liberté intérieure et de l’intégrité de la pensée, ne cède pas aux arguments d’autorité et résiste aux pressions et aux conditionnements (Vie Spirituelle et Modernité (VSM), p. 46). Vivre vrai appelle un engagement de toute sa personne (DS, p. 37), car pour Légaut, il s’agit de « ne pas se prêter mais [de] se donner »).

On le constate, la démarche de Légaut, dont il a témoigné de la fécondité dans une constante recherche de cohérence entre ce qu’il disait et ce qu’il vivait, est une source inépuisable d’inspiration bénéfique. A nous de la faire connaître.

Jacques Musset