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Pourquoi je suis resté catholique ?

Cette question - qui s'inspire du Pourquoi je reste toujours chrétien de Hans Küng, éd. du Centurion 1988 - correspond à quelque chose de très réel à notre époque. Nous sommes tellement déstabilisés que toutes nos positions ont continuellement besoin d'être repensées pour être vraiment vécues.  C'est une question que nous avons à nous poser, chacun suivant sa vigueur spirituelle.

Nous sommes dans une situation tellement différente de celle qu'on pouvait rencontrer encore il y a 50 ans. Notre univers mental est complètement bouleversé par toutes les connaissances nouvelles qui se présentent, non seulement les connaissances scientifiques du réel, du monde, du cosmos, mais aussi les connaissances que nous avons de toutes les religions qui jadis étaient tellement loin des horizons intellectuels de nos pays d'occident que ces religions ne posaient pas question. Actuellement, grâce aux relations plus faciles que nous pouvons avoir dans le monde entier, grâce aussi à des pionniers comme par exemple Le Sault, l'hindouisme, l'islam, toutes ces grandes religions qui peuvent même prétendre avoir des adeptes plus nombreux que le catholicisme lui-même, sont maintenant suffisamment implantées dans nos pays pour que nous ayons en France, des monastères indiens, des monastères zen,  monastères qui étaient tout à fait impensables, il y a seulement 10 ou 20 ans. Donc il est tout à fait naturel que, devant ce très large horizon de vie spirituelle, nous nous posions la question, que : pourquoi donc es-tu catholique ? pourquoi es-tu protestant ?

C'est d'autant plus difficile que notre religion a 2000 ans d'existence, que sa doctrine et sa loi sont très marquées par les temps de leur naissance et de leur développement et que l'univers mental qui a présidé à cette naissance et à ce développement n'est pas du tout l'univers mental que nous avons maintenant. De telle sorte que si nous voulons faire comme dans le passé, ce qui était authentiquement vivable, il y a 50 ans et même moins, ne l'est plus maintenant.  Notre grand danger, c'est que nous nous contentions de "faire comme si", que nous nous contentions de croire que nous faisons comme faisaient nos ancêtres. Nos ancêtres pouvaient vivre authentiquement ce que nous ne pouvons pas vivre authentiquement. Que nous le voulions ou non, nous sommes enfermés dans notre univers mental. 

Nous avons une autre sensibilité, une autre manière d'imaginer, une autre manière de vivre et nous y sommes irrémédiablement enfermés. Chaque fois que nous voulons être d'un autre temps que du nôtre, nous ne sommes ni du temps précédent, ni du temps présent. Nous sommes dans l'espace.

C'est pourquoi chacun de nous doit se poser la question : pourquoi je suis catholique ? Pour moi, est- ce que je vis mon catholicisme ? Est-ce que je le vis comme un habit ou est-ce que je le vis comme une nourriture qui m'est nécessaire pour devenir moi-même ? pour devenir ce que je dois être de par les potentialités qui sont en moi ? Voilà toutes les questions que nous devons nous poser à différents âges. Sitôt que des questions nouvelles se posent dans notre propre vie, qui touchent nos œuvres vives,  il faut que nous prenions des initiatives. Il ne suffit pas d'imiter ce que d'autres avaient fait jadis dans les mêmes conditions, mais [il faut] inventer. Dans l'ordre de la vie chrétienne proprement dite, pour ma part, j'insiste beaucoup sur l'approfondissement humain, car si cet approfondissement n'est pas réel, suffisant, nous ne sommes pas capables d'inventer, d'atteindre au dedans de nous la prise de conscience d'exigences qui nous sont propres et qui nous permettent, dans une certaine mesure, d'être nous-mêmes dans un milieu qui est tout à fait différent de celui dans lequel nous avons été enseignés, tout à fait différent de la doctrine que nous avons apprise, tout à fait différent des lois  morales qui nous avaient été jadis imposées.

Il nous faut chacun découvrir d'une façon ou d'une autre la religion personnelle qui nous est nécessaire pour être nous-mêmes. C'est à ce titre-là que nous avons une religion qui nous nourrit, que nous avons une religion que nous servons, une religion qui ne va pas de soi mais envers laquelle nous avons le sentiment d'avoir une certaine responsabilité. Et à mesure qu'on se donne à l'Église, on reçoit d'elle. 

Marcel Légaut, Le Seuil Belgique février 1989