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Jésus, un juif, un pharisien ?

Vingt siècles de christianisme nous ont éloignés de Jésus juif. Songeons simplement à ces images du XIXe siècle nous présentant Jésus, prêtre catholique distribuant la communion. Or ce laïc est le sujet d’une a)ention de nos frères juifs qui l’enracinent dans un peuple, une tradition, une histoire. Circulait donc aux Granges l’ouvrage de Robert Aron, Ainsi parlait l’enfant Jésus (Grasset, 1968)1, et pourrait intéresser nombre de « camarades » l’étude d’Armand Abecassis, Jésus avant le Christ (Paris, Presses de la Renaissance, 2019, 358 p.).

D’emblée Armand Abecassis met l’accent sur le rôle des évangélistes Ma)hieu et Marc : « Les récits évangéliques selon Ma)hieu et Marc relient Jésus à Christ dès sa naissance et même dès l’annonciation faite à sa mère, Marie. Ils confondent les deux identités et rendent insaisissable l’identité juive de Jésus considéré comme le Christ, c’est-à-dire le Messie universel, dès le sein maternel ». Un peu plus loin, il rappelle que ce)e fonction du Messie «ne lui fut a)ribuée que plus tard, bien après sa résurrection » (p. 11). Et il rappelle le rôle déterminant des conciles de Nicée (325), d’Éphèse (431) et de Chalcédoine (451), y trouvant là les bases théologiques de l’antijudaïsme des chrétiens.

Il y a, dans cet ouvrage, une exploration des racines juives de Jésus, avec notamment un lien étroit à Isaïe, dont Ma)hieu a changé, en plusieurs points, la citation (p. 112), ou une étude des Béatitudes qui sont « spécifiquement juives et ne font aucune référence aux thèmes de la théologie de l’Église élaborée plus tard ». Il est vrai, me semble-t-il, que si Jésus revenait sur terre, il irait prier... à la synagogue.

Jésus était-il pharisien ?

Telle est la question que se pose l’historienne du judaïsme Mireille Hadas-Lebel2 dans son étude intitulée Les Pharisiens dans les Évangiles et dans l’Histoire (Albin Michel, 2021, 208 p.):

« Jésus était-il pharisien ? De tout ce qui précède, il ressort qu’il fut très proche des pharisiens de son temps tout en les critiquant. Il partage avec eux la fidélité à la Torah, la doctrine de la résurrection, la croyance en l’intervention d’anges et d’esprits dans la vie des hommes, l’a)ente que se réalise le « Royaume de Dieu ». Il en épouse les méthodes et les raisonnements. Quand il critique leur formalisme, c’est au nom d’une tradition prophétique qu’ils ne récusent pas. Les affrontements entre Jésus et les pharisiens demeurent dans les limites des discussions rabbiniques sur des questions de halakha et ne portent jamais sur l’identité messianique de Jésus. Néanmoins, Jésus reste pour eux un rabbin énigmatique, un «maître sans maître» qui ne contrôle pas assez ses disciples. Ils ne le reconnaissent ni comme prophète ni comme « fils de David» ou Messie, et paraissent ignorer la dimension messianique du « Fils de l’homme » de Daniel. Jésus semble avoir été pour les pharisiens de son temps tout au plus un prédicateur populaire, un thaumaturge, peut-être un pharisien, quelque peu dissident imprégné de mysticisme, qui les critique et qu’ils critiquent, comme ils déba)ent entre eux-mêmes. Les questions théologiques entrent peu dans ces débats entre Jésus et les pharisiens. Ce sont elles qui décideront plus tard de la rupture, à mesure que se développe la christologie et que la dimension divine du Christ prend le pas sur sa réalité humaine. » (p. 147).

Dominique Lerch

(1) À ma connaissance, pas de trace aux Granges de l’ouvrage de Jules Isaac, Jésus et Israël (Paris, Fasquelle, 1958, 596 p.). Jules Isaac rappelle qu’il existe 39 espèces d’occupations interdites pour le shabbat « ce qui explique la casuistique des rabbins à laquelle se joint, pour trancher, Jésus. Jules Isaac prend clairement position sur l’extension opérée à la nation juive entière (déjà par les évangiles) de l’avertissement de Jésus à la caste sacerdotale. À noter son respect envers Loisy (injustement oublié aujourd’hui) : « [Il] a beaucoup compté pour les hommes de ma génération (p. 587).

(2) Fine connaissance de Flavius Josèphe, étude présente dans la bibliothèque de Bernard Bœuf, transmise à Mirmande.

Dominique LERCH