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Pourquoi je suis resté catholique ? (suite 6)

Voulez-vous que je vous dise ce que l'on peut rêver de l'Église de demain ? On peut rêver. Tout cela est très personnel. Au fond, nous avons une grosse difficulté, c'est qu'en ayant divinisé Jésus, avec la conception que nous avions de Dieu depuis les antiquités, cela nous a distraits d'approfondir la vie humaine de Jésus. Il était tellement Dieu que, d'une certaine manière, c'était sa divinité qui nous intéressait, et non pas son humanité. À la place d'approfondir l'humanité de Jésus pour y découvrir des traces d'une transcendance que nous ne connaissons pas et qui n'est cependant pas tout à fait étrangère à notre propre nature, nous l'avons divinisé d'une manière je dirais superstitieuse, un Dieu tout- puissant, et lorsque nous lisions l'évangile jadis, on voyait le Dieu tout-puissant qui faisait semblant d'ignorer, qui dirigeait l'un mais ne dirigeait pas l'autre, qui savait exactement ce qu'il fallait faire et ainsi de suite. Nous faisions disparaître son humanité et c'était pourtant cette humanité qu'il nous était nécessaire de comprendre par le dedans afin de découvrir le chemin de la nôtre, de notre propre humanité.

Il ne faut pas en faire autant de l'Église. L'Église ne doit pas être divinisée. L'Église est une société comme les autres. Alors elle s'est efforcée de se diviniser, il faut le dire, dans la mesure où pendant très longtemps, les origines de l'Église ont été plus pensées par une doctrine que pensées comme histoire. C'est la doctrine qui faisait l'histoire. Alors nous avions une continuité complète entre ce que Jésus avait voulu, les apôtres et ainsi de suite. Quand l'histoire s'approfondit, on s'aperçoit que l'Église a mis un siècle pour découvrir petit à petit son organisation, de telle sorte qu'on peut dire qu'à la fin du premier siècle, tout était pour ainsi dire mis en place.

Mais au départ, c'était tout à fait autre chose. On s'aperçoit que nous avions trois ou quatre directions qui n'étaient pas du tout convergentes, plutôt polémiques, chacune jouait son propre tableau pour arriver petit à petit à se développer dans sa propre ville. Petit à petit, avec le temps, les choses s'arrangent. Paul disparaîtd'abord. Jacques le leader avec le judéo-christianisme disparaît à sa manière. Et Luc, le centriste, va petit à petit donner la ligne à ce que l'Église va devenir à la fin du 1er siècle.

Alors cette idée est importante, ce que l'Église est devenue ne doit pas être divinisé. Elle est une société comme les autres, essentiellement inspirée par ses membres, par ce que Jésus a vécu, par l'esprit de Jésus, le Saint-Esprit si vous voulez, de telle sorte qu'elle connaît comme toute société les déterminismes qui pèsent sur elle et qui dans une certaine mesure ne lui permettent pas d'être tout à fait ce qu'elle devrait être pour remplir complètement sa mission. Donc ne pas diviniser l'Église.

Deuxièmement, il ne faut pas diviniser les structures. Il faut qu'elles soient créées, organisées, inventées pour que la mission soit possible. Ce qui est important, ce n'est pas la conservation des structures, c'est la fécondité de la mission. Donc il faut que ces structures soient mobiles, soient différentes suivant les lieux. Une centralisation comme celle que nous vivons actuellement est impensable. On ne peut pas, à partir de Rome, dire ce qu'il faut faire dans des situations si différentes, à des niveaux d'humanité si différents, avec des mœurs si différentes. Ce n'est pas pensable.

Prenez, puisque ça va venir l'année prochaine, un catéchisme universel, ce n'est pas pensable. Le catéchisme universel ne peut être conçu que comme un nouveau cadre, c'est-à-dire un cadre dans lequel les catéchistes d'une manière ou d'une autre prendront ce qu'il faut pour correspondre utilement à l'œuvre qu'ils ont à accomplir auprès des enfants comme auprès des adultes, c'est-à-dire qui correspond à leurs propres possibilités, à leurs propres besoins. Donc en continuelle adaptation. Ceci est très important, car c'est un des aspects de l'universalité extrême de ce que Jésus a apporté.

Marcel LEGAUT, Le Seuil, Belgique (février 1989)