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La démarche inductive de Marcel Légaut
dans son approche de l’homme, de Jésus et de Dieu 
Une révolution spirituelle prometteuse

Dès mes premières lectures des grands livres de Marcel Légaut à partir de 1970, puis dans les suivants, j’ai été profondément marqué par son approche originale des mystères de l’homme, de Jésus, et de Dieu.

Dans l’Église de son temps, – et dans celle d’aujourd’hui c’est encore le cas - tout chrétien était censé connaître ces trois réalités fondamentales et y avoir accès par un enseignement venu de l’extérieur - les dogmes - issu d’une inspiration divine et dispensé par une autorité hiérarchique dûment mandatée par le ciel. L’homme chrétien était un réceptacle de vérités. Sa seule responsabilité était de les intérioriser docilement.

Marcel Légaut a perçu progressivement, sous l’influence du Père Portal, des penseurs modernistes, de philosophes (Blondel, Gabriel Marcel) mais aussi de par sa formation scientifique, que pour l’homme moderne la connaissance d’une réalité - quelle qu’elle soit - ne peut se faire que par expérimentation. Pour le mathématicien qu’il était, c’était une évidence. Pour le chrétien qu’il s’efforçait d’être, il en allait de même. D’où pour lui la question : comment accéder à une connaissance expérimentale de l’humain, de la personne de Jésus et du mystère de Dieu sans faire appel à une doctrine préexistante s’imposant à soi du dehors ?

Sa « trouvaille géniale », ce fut d’emprunter un tout autre point de départ, à savoir la prise de conscience de son expérience d’humain engagé dans une aventure singulière d’humanisation, en lien étroit avec d’autres humains poursuivant la même démarche. On sent déjà dans Prières d’un croyant (1932) que la ferveur et la profondeur de ses méditations d’évangile sont toutes imprégnées de sa recherche personnelle d’humanisation, en constant approfondissement. Mais c’est dans ses livres à partir de 1970 qu’il exprime nettement sa démarche inductive d’approche du mystère de l’homme, base incontournable pour lui de l’approche des mystères de Jésus et de Dieu. « Partir du plus connu pour aller vers le moins connu, disait-il, partir du moins obscur par aller vers le plus obscur ». C’est en ce sens que Légaut répétait sans cesse que l’on ne peut être chrétien si l’on ne devient pas humain à longueur de vie. La démarche décrite dans son ouvrage L’homme à la recherche de son humanité était pour lui le socle à partir duquel il pouvait, sans tricher, envisager une relation vraie avec le vécu de Jésus et avec le divin mystérieusement présent au plus intime de lui-même.

Sa connaissance intime de la densité du vécu humain de Jésus, il l’a acquise à partir du sérieux avec lequel il approfondissait sa propre humanité et qui le faisait consoner avec celle du nazaréen. De même sa découverte de la mystérieuse présence de Dieu dans sa propre vie, il l’a faite en constatant dans son expérience d’humain cherchant à s’humaniser des émergences d’humanité qui lui semblaient dépasser ses simples capacités humaines. Sa foi en Jésus et en « son » Dieu n’étaient pas de l’ordre de la preuve, mais d’une conviction enracinée dans son expérience d’humanisation dont la profondeur à certaines heures lui faisait percevoir avec intensité une inspiration plus qu’humaine.

Pour les chrétiens modernes qui, animés d’esprit critique, ne peuvent plus se contenter de répéter la doctrine officielle des Églises, figée dans des dogmes élaborés dans la culture grecque des IVe et Ve siècles qui n’est plus la nôtre, la démarche croyante de Légaut peut être inspirante. En tout cas, elle l’est pour moi. Si je me dis disciple de Jésus aujourd’hui et que je crois en Dieu au cœur même de mes questionnements, c’est pour m’être mis à l’école de Marcel Légaut, et d’avoir vérifié dans mon propre cheminement la fécondité de sa voie. Il est d’autres chemins, mais celui-ci me paraît vrai car il ne peut que s’expérimenter dans le souci et l’effort que chaque humain déploie pour « devenir soi et rechercher le sens de sa propre vie ». Ce peut être un chemin d’avenir pour nos contemporains, quel que soit ce qu’ils en parcourent.

Jacques Musset