Devenir disciple de Jésus (8)
Après quelques mois de succès arrivent toutes sortes de polémiques, car enfin on comprenait bien qu’il ne parlait pas comme les scribes et les docteurs. Il n’avait pas de titres universitaires, et même s’il en avait eus, on l’aurait critiqué, car on sentait bien qu’il ne parlait pas comme les scribes, il parlait avec je ne sais quelle autorité intime mais qui peut être contestée, puisqu’elle n’était pas écrite sur du papier. Du côté des conservateurs, c’était un révolutionnaire ; il n’observait pas la loi. Je n’insiste pas sur les miracles faits le jour du sabbat. Du côté des patriotes, de ceux qui voulaient qu’Israël devienne une nation indépendante, de manière à satisfaire à sa mission fondamentalement religieuse, c’était un démobilisateur qui prêchait la miséricorde au lieu de prêcher la violence. Il prêche la pauvreté et personne ne croira que les riches ici le suivraient pas à pas.
Démobilisateur d’un côté, opium du peuple de l’autre. Depuis vingt siècles, ça se répète avec un vocabulaire différent, mais en définitive, c’est toujours la même chose, car les voies de Jésus sont les voies de Dieu. Si les voies des profondeurs humaines ne supportent ni les facilités du pouvoir ni les facilités politiques, des deux côtés tout le monde était contre lui pour des raisons différentes mais unanimes pour le but final. Il était insupportable, aussi ne fut-il pas supporté très longtemps. Sa mort était nécessaire. Elle lui était imposée physiquement, sociologiquement, par les conditions dans lesquelles il avait jusqu’à présent vécu. Cette mort extérieure, imposée, était fatale, car il ne fallait pas être un grand prophète pour s’apercevoir que ça ne pouvait pas durer longtemps.
Mais c’est là, je crois, une chose fondamentale : il a compris que cette mort était nécessaire à sa mission et il a fait de la mort sa mort parce qu’il a compris que tout ce qu’il avait donné à ses disciples, ceux-ci l’avaient reçu à leur propre niveau. Tout ce qu’il leur apportait était ramené au niveau de leurs propres préoccupations. Il était grand temps qu’il s’en aille pour que de cette absence jaillisse une nouvelle présence qui leur permettrait d’être créateurs et pas simplement de trouver en Jésus celui qui répondait aux préoccupa-tions qu’ils avaient reçues de leur milieu. Il a fait de la mort sa mort en faisant de la mort qui venait du dehors le dernier acte de sa mission. Quand il a compris ces choses, il monte à Jérusalem, il va vers sa mort. Ayant compris que la mort était sa mort, son dernier acte, là où il s’accomplirait, où s’épanouirait sa mission, où elle prendrait toute sa puissance.
Le 4e Évangile s’efforce, après une longue médita-tion de ses auteurs, de mettre sur les lèvres de Jésus, avant et après la Cène, les discours que vous connaissez, cette merveille de profondeur qui fait qu’en un certain sens on découvre ce que Jésus a vécu avec ses disciples pendant ces quelques mois. Après c’est la nuit de Gethsémani, la dernière nuit de prière où nous découvrons de manière saisissante la transcendance de Jésus par rapport à ses disciples. La prière donne de la force à ceux qui savent prier, mais ça dévie l’âme de ceux qui cherchent dans la prière une évasion. (...) De cette prière, Jésus est sorti plus fort pour affronter les puissants de ce monde et ses disciples en sont sortis si faibles qu’ils l’ont abandonné, eux qui pourtant l’avaient suivi pendant ces quelques mois, malgré toutes les difficultés, les séparations, les hostilités qu’ils avaient rencontrées dans leur famille et autour d’eux. (à suivre)
Marcel LÉGAUT - Bruxelles 1976
Articles et Conférences - Ed. Xavier Huot
Cahier 8, Tome II p.279
