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Reformuler la prière, une des caractéristiques de membres du groupe Légaut :
un exemple, Paul Abéla (1921-2010)

Paul Abéla est né en 1921 dans une famille chrétienne de « levantins ». Sa famille paternelle était originaire de l’île de Malte et sa famille maternelle, de Damas en Syrie ; toutes deux de culture française. Il passe sa jeunesse en Égypte et au Liban puis, à partir de 28 ans, en France, surtout à Paris. Son enfance est pieuse, disciplinée, et ses études se déroulent chez les Jésuites du Caire, avec le latin et l’arabe au programme, des mathématiques (Math-Élem). Il fait des études d’ingénieur (spécialiste du béton) à Beyrouth entre 1941 et 1945, travaille au Caire puis à Assouan et s’installe à Paris fin 1948.

De tradition, sa famille est pratiquante et familière de la Bible, évoquant son père ,il écrit « je suis témoin qu’il priait les psaumes ». Il expérimente un groupe de célibat, se marie tardivement. Il se nourrit de la Bible, de la pensée de Marcel Légaut et de Maurice Zundel.

Devenu ingénieur de travaux publics, bilingue, économiste et prospectiviste, Abéla est recruté au Bureau International du Travail à Genève, il milite au Parvis, aux Amis de Maurice Zundel, au Comité chrétien de solidarité avec les chômeurs, au Parti socialiste. Ce qui l’amène à mettre par écrit sa réflexion sur l’emploi : « Continuer à faire appel à la croissance – et surtout celle des autres – pour résoudre le chômage, est devenu un vœu pieux pour masquer un manque d’imagination têtu, alors que, face à des situations sans précédent, il faudrait inventer des solutions nouvelles […] et faire ce qui dépend de nous : 

  • produire plus pour consommer plus ;
  • produire plus pour en faire profiter des tiers ;
  • réduire la durée du travail individuel ou collectif[1]. »

En 2000, Paul Abéla analyse la question du langage comme étant l’une des sources de la déchristianisation : la pratique dominicale des 16-24 ans est de 5 % et « si l’on ne fait rien, si l’on ne change pas radicalement ce qui doit l’être, d’ici 20 ans, le taux des pratiques des adultes sera à peine de 5 % ». Dans un de ses trois ouvrages[2], il cite abondamment Zundel et Légaut, répétant avec Zundel qu’« il faut changer de Dieu », « l’important n’est pas de savoir si l’on sera vivant après la mort, mais d’abord d’être dès à présent vivant avant la mort ». Intégrant la pensée de Bultmann, il écrit que si Jésus est de sexe masculin, « il doit avoir bénéficié de gamètes mâles », et qu’il convient de « renoncer à une imagerie d’un autre âge » concernant Marie, Joseph et… leurs enfants. Avec des historiens du christianisme, il s’interroge sur l’idolâtrie des premiers conciles, sur l’infaillibilité pontificale (à Vatican I, il y eut des votes contre tel l’archevêque de Paris et des évêques retournés avant le vote pour affaires urgentes dans leur évêché, tels les évêques allemands étudiés par Hubert Wolf…). Il mesure le risque de schisme et la conséquence du choix fait jusqu’à présent dans l’Église officielle : « Dans bien des cas, pour éviter le scandale des faibles, on croit préférable de ne pas contredire des déclarations précédentes, mais on sous-estime le scandale des personnes averties, qui sont de plus en plus majoritaires dans nos pays, et l’honnêteté intellectuelle… ». 

Malgré des différences importantes par rapport à la théologie dominante, il se considère « comme disciple de Jésus et membre de son Église ». Il revendique « le droit à une légitime différence sur bien des formules traditionnelles et un droit de recherche. Ma prise de position prend appui sur celle de Marcel Légaut mais va plus loin. » Les titres de chapitre égrainent sa recherche : Jésus sans mythe ; Marie simplement la mère de Jésus ; un péché originel légendaire ; une Église prétentieuse ; un Credo archaïque et désuet ; citant ici encore Maurice Zundel : « Parler de Dieu aujourd’hui dans le langage des premiers siècles, c’est se condamner à n’être pas compris et c’est faire courir à Dieu le péril d’apparaître comme un mythe à reléguer au musée des antiquités ». Et, comme quelques membres du groupe Légaut, incités par Marcel Légaut à oser une prière personnelle, il propose, à ses risques et périls, un Credo concret pour notre temps :

Je crois en un Dieu source de vie et d’amour

Qui nous a créés hommes et femmes à son image.

Je crois en Jésus de Nazareth

Premier né des fils de Dieu.

Il a aimé tout homme et toute femme,

Il a été attentif aux faibles et aux méprisés.

Il a lavé les pieds de ses disciples.

Il a partagé le pain et le vin.

Il nous a demandé d’en faire autant,

Comme symbole d’une vie de partage.

Plutôt que de trahir son message,

Il a préféré se laisser mettre à mort.

Mais il vit d’une autre vie

Et nous appelle à le suivre

Vers une vie d’amour sans fin.

Je crois en l’esprit de Dieu

Qui nous inspire tout au long de nos vies,

Pour vivre la communion des disciples de Jésus.

 

Dominique Lerch

 

[1] ABÉLA (Paul), Une politique pour l’emploi, Paris, Desclée de Brouwer, 1994, p. 51-53.

[2] ABÉLA (P.), Je crois mais parfois autrement, Paris, L’Harmattan, 2003, 148 p. ; Une politique pour l’emploi, Paris, Desclée de Brouwer, 1994, 126 p. ; Chantier pour l’Église à venir, collectif, Paris, Cerf, 1984, 157 p.