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Enseignant un temps à Rennes où il demeure au 35 rue Dupont des Loges du mardi au jeudi en 1933, Marcel Légaut entre en contact avec un de ses étudiants, Jean Lechevalier, qu’il a été obligé de coller à un certificat de mathématiques (14/40). Malade, obligé de prendre 30 grammes de gardénal par jour, cet étudiant doit se ménager pour lutter contre l’épilepsie, souffre de sa solitude, ne peut avoir d’enfant sinon imprudence sans doute fatale écrit Légaut au regard de la science médicale en 1935. En juin 1936, Marcel Légaut dresse un bilan sans ménagement de son année universitaire : 

Je termine ici ma licence sur une impression d’hécatombe : 4 sur 26 en mécanique, 1 sur 8 en calcul différentiel, 11 sur 36 en maths géné. Nous sommes dans des années noires. Il me semble qu’il y a moins d’énergie, moins de volonté et comme une fatigue générale qui laisse les esprits aller à la dérive suivant la pente de leurs désirs.

Légaut donne à son étudiant de nombreuses nouvelles du groupe, de ses vacances (en juillet 1937, il indique qu’il s’est bien reposé 15 jours chez ses parents).

Et donc, de 1933 à 1961, une longue et régulière correspondance s’établit entre Marcel Légaut et Jean Lechevalier. Nous ne disposons pas de celle de ce dernier, mais celle de Marcel Légaut se trouve aux archives de l’évêché de Quimper, Mgr Fauvel, ayant été membre du groupe Légaut dès l’avant-guerre1. Le message de Légaut est clair : « Je ne t’abandonne pas » ; « va ton chemin avec force » ; « si tu as besoin d’un peu d’argent, dis-le-moi ». Légaut l’invite aux Granges à partir de 1941, mais constate (le 10 octobre 1943) : « ton séjour ne t’a pas été bon ».Jean Lechevlier a donc passé un temps aux Granges, et Légaut commente alors ce passage : « la vie des Granges est pour toi un enterrement, tu n’en as pas saisi l’aspect ascétique et religieux qu’elle comporte. Aide ta mère. Travaille le jardin… les courses, le ravitaillement. Te voilà de nouveau à Rennes, dans la liberté et la pauvreté ». 

De sa vie aux Granges, Légaut donne l’une ou l’autre indication, ainsi, le 12 octobre 1945 : « Cette vie solitaire – pleine du matin au soir – me convient bien. Je ne sais si nous nous reverrons ici-bas. Mais je suis bien sûr qu’entre nous, il y a de l’éternel ». Le 7 novembre 1944, Pierre Voirin quitte les Granges, les Leroy vont partir aussi avec Bertrand.

Aidé par sa mère pour avoir un minimum d’indépendance, Jean reçoit des pistes de corrections, d’écritures afin de gagner sa vie. Marcel Légaut l’encourage constamment : « Ta vie a acquis un sens qui ne te sera jamais plus enlevé » (1953) ; « Il faut tenir dans la nuit. Et plus la nuit a été noire, plus la joie qui vient après est profonde et inexplicable » (1955). Et, dans une lettre envoyée de Valcroissant, le 3 février 1955, cette invitation à lire Wiechert à qui Légaut accorde une importance capitale :

« As-tu lu Les enfants Jéromine et Missa sine Nomine d’Ernst Wieckert ? [chez Calmann-Lévy]. Tu devrais le faire. Si tu ne trouves pas à les emprunter, dis-le moi, je te les enverrai. Ces livres te feront du bien. Depuis Bernanos, je n’ai jamais rien lu d’aussi religieux et d’aussi exact sur notre temps […]. Fraternellement. » 

Puis, le 14 juin 1962 : « Je suis heureux que tu découvres Wiechert, c’est un de mes pères suivant l’esprit ».

Mais la possibilité de venir vivre aux Granges demeure constamment ouverte, en particulier en 1956 ; Jean ne pouvant plus vivre à Lyon, où il s’était installé. Entre un étudiant souffrant, et un professeur d’université, une correspondance fait état d’un lien, d’une ouverture épaulante à longueur de vie.

1 La cote est 1 D 11 /54/55. Je remercie l’archiviste Kristell Loussarude de son excellent accueil. Je pensais trouver la correspondance de Légaut avec un évêque, ancien membre du groupe. J’y trouve aussi cette amitié entre Légaut et Lechevalier, des courriers de la famille Host, d’André Négrin ou de Gérard Soulages, notamment après la rupture de celui-ci avec Légaut.