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Ce que l’homme a entrevu dans le lointain, à l’horizon de sa conscience, au terme d’une étape de sa recherche proprement humaine, peut continuer à l’appeler au plus profond de lui-même, à l’élever au niveau où il est créateur et à le faire progresser vers la cime de son humanité. Aussi longtemps que l’homme se tient dans une intériorité suffisante, il conserve l’intelligence de cet appel, il est tout proche de l’entendre à nouveau et d’y correspondre. Rien ne lui fait perdre définitivement cet état, ni l’usure de l’habitude, ni la concurrence d’autres attraits.

Sans doute, la précarité de son recueillement et les occupations de la vie quotidienne le portent à oublier ordinairement ces heures de lumière. Alors l’homme ne voit plus l’étoile qui jadis l’éclairait et le transfigurait. Mais qu’il se ressaisisse, et voici qu’elle réapparaît à ses yeux, brillante comme aux premiers jours, tellement elle monte de ce qui en lui ne relève pas du temps !

Cette élévation toute spirituelle qui porte l’homme au dessus de son état ordinaire ne ressemble à aucun autre mouvement intérieur qui le transforme un moment ; elle se manifeste à lui comme un bond, hors de sa propre nature, qui le fait progresser mieux que ses propres pas. Cette saisie, ou plutôt cette approche du réel, ne s’impose pas à l’homme comme une connaissance ordinaire. Elle provient autant de quelque touche intérieure que de l’ouïe intime ; elle est une lumière qui n’est pas étrangère aux ténèbres qui l’enveloppent ; elle ne les dissipe pas, elle met en valeur leur secrète plénitude.

Cette élévation intime qui emporte l’homme, cette saisie du réel qui le promeut naissent de lui, sans être cependant les résultats de ses efforts. Aux heures de lumière, elles l’habitent et sont pour lui une demeure de transfiguration.

Marcel Légaut, l’homme à la recherche de son humanité, Aubier 1971, p. 98.