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Exposé introductif préparé par Antoine Girin à l’occasion d’un des trois dimanches « Légaut » organisés à Notre Dame de Grâce en relation avec le diocèse de Saint-Etienne.
Les journées Marcel Legaut sont animées par Antoine Girin, Elisabeth Riboulon et Louis Tronchon. Elles permettent une découverte de la pensée de Marcel Légaut et d’entrer dans une expérience de partage et d’intériorité en cohérence avec les intuitions de ce chrétien exceptionnel qui a beaucoup marqué de nombreux groupes de notre région.
Marcel Légaut a quitté, a quarante ans, une vie facile et honorée de professeur de faculté pour un nouveau métier : paysan de montagne et berger dans un hameau abandonné du Haut-Diois. Il se marie et élèvera six enfants. Il témoigne : « toute ma vie, j’ai cherché à connaître Jésus, à l’atteindre. On m’a parlé de lui et j’ai essayé de le comprendre. J’ai été ému et attiré par l’image que j’avais de lui. C’est ainsi que j’ai été conduit à une connaissance de Jésus qui est communion de mon être à son être ». Il est l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages sur la vie spirituelle et l’avenir du christianisme.
Il faut être dans un certain climat intérieur pour parler de la foi en soi. En effet, la foi en soi n’est pas une connaissance, elle ne peut pas être possédée, elle est indéfinissable. On effleure le plus intime, si vous le permettez, j’ose dire : la foi en soi est du domaine de l’âme. C’est une réalité singulière qui fait que chacun, à sa manière, suivant ses propres moyens, suivant son propre chemin, va pouvoir l’atteindre s’il y correspond. Chacun doit la découvrir par lui-même, pour lui-même, elle est à la fois le fruit et la nourriture de sa vie spirituelle. Elle nous est donnée. Si tu savais le don de Dieu, dit Jésus à la Samaritaine. Oui, une révélation qui dépend de nous, mais qui n’est pas que de nous.
Deux questions « Qu’est-ce que l’homme ? » et « Qui suis-je ? » proposées par Marcel Légaut pour nous éclairer :
« Qu’est-ce que l’homme ? » L’homme, c’est l’homme en général, l’homme dont je parle à partir du concept que je peux avoir de lui.
« Qui suis-je ? » est beaucoup plus singulier, particulier, essentiellement personnel et nous ne l’atteignons pas comme nous le voulons.
De telle sorte que ce que nous disons autour de la foi en soi, c’est de même nature que « qui suis-je ? » qui ne concerne pas l’homme en général, mais l’homme particulier que je suis. Il y a là une réalité très singulière. Tellement singulière qu’on peut dire : l’homme que je suis ne relève pas que de la connaissance. Et dans ses livres, Légaut insiste sur ce fait en disant : l’homme que je suis est mystère. En prenant le mot mystère dans un sens extrêmement précis : l’homme que je suis ne relève pas que de la connaissance. La question « qui suis-je ? » implique qu’il y a une réalité en moi qui dépasse la démarche purement intellectuelle qui m’est nécessaire pour comprendre la question et dont Marcel Légaut fait une invocation

Qui suis-je, homme jeté dans l’existence sans l’avoir su ou voulu ?

Etre connaissant ou conscient de sa conscience.

Etre voué à la mort et capable de le savoir.

Aussi impuissant à concevoir son propre anéantissement qu’à penser son commencement, le commencement de sa conscience.

Aussi incapable de concevoir son éternité que de penser autrement que dans l’abstrait, qu’il aurait pu ne pas être.

Qui suis-je, homme solitaire, pressé, bousculé de toutes parts, et même du dedans par tant d’autres qui ne sont pas moins que moi des êtres inaccessibles.

Etre voué par toutes ses fibres à la communication, à la communion, sans jamais pouvoir y atteindre au niveau de profondeur de son humanité.

Qui suis-je, homme unique, lié de façon impensable à l’extrême diversité des foules innombrables répandues dans l’espace et le temps, mais tellement unique qu’aucun autre que moi, même s’il savait le vouloir, ne pourrait être ce que je suis, homme dont l’histoire est si singulière au milieu de la multitude des histoires humaines, qu’elle se perpétuera ou périra, avec moi à jamais.

Marcel Légaut : "Travail de la foi"  p.55

Marcel Légaut situe le tragique de notre condition. Nous sommes dans une période où beaucoup de gens sont hantés peut-être même sans qu’ils le sachent, par le tragique de leur existence.

La foi en soi va être la conséquence, se développant à travers notre propre vie, de la prise de conscience de notre réalité. C’est donc autour de la vie spirituelle que va petit à petit se constituer cette prise de conscience et c’est à travers toute notre vie que, je ne dis pas : nous comprendrons, le mot est trop fort, mais nous atteindrons de temps en temps, à certaines heures particulièrement lucides et conscientes, cette réalité « qui suis-je ? » et le tragique de mon existence, puisque nous sommes, selon Marcel Légaut, jetés dans l’existence sans l’avoir su et voulu.

Aussi une première étape de la vie que nous avons tous à connaître, dit Légaut, c’est d’être d’abord des vécus, c’est-à-dire que ce que nous faisons, ce que nous pensons, ce que nous disons est la conséquence du milieu dans lequel nous nous trouvons, des circonstances, des événements, des rencontres. Nous sommes vécus plus que vivants, et c’est normal. Nous commençons comme ça. De telle sorte que nous obéissons à la loi qui s’impose à nous du dehors, la loi de la société où nous nous trouvons. Nous obéissons à cette loi intérieure que nos analystes et nos psychanalystes découvrent en montrant en nous des déterminismes considérables qui pèsent sur nous bien avant que nous le sachions, bien au-delà même de ce que nous pouvons en savoir. Alors nous sommes des vécus dans le sens passif du terme. De telle sorte que dans les conditions normales, nous sommes à peu près tous dans les mêmes situations. Nous avons tous un atavisme qui, à quelques détails près, se ressemble. Donc, au début, on se ressemble et, dans une large mesure, on se rassemble. Légaut appelle cela la vie de simple moralité qui est de faire ce que tout le monde fait, de dire tout ce que l’on dit, sans s’apercevoir que c’est la conséquence du milieu dans lequel on se trouve.

Mais, à certaines heures de la vie et dans toute vie, il y a des circonstances particulières (amour naissant, maternité/paternité, mort d’un proche…) qui nous singularisent par rapport au milieu dans lequel nous avions jusqu’à présent vécu. À ce moment-là monte en moi, je ne sais comment, quelque chose qui me sollicite et qui exige de moi un comportement qui n’est pas la simple conséquence de ce que tout le monde peut subir et connaître autour de moi. En moi, monte une exigence, une initiative, une perspective qui n’est pas la simple conséquence de l’enseignement que j’ai reçu. Une exigence intérieure qui va donner à ma vie une originalité que les autres n’ont pas. Je me distingue des autres, non pas par désir de me distinguer, mais pour être fidèle à ce qui monte en moi et pour y correspondre. Marcel Légaut pense qu’à ce moment-là, je ne suis pas seul : Il y a en moi quelque chose qui ne peut pas être sans moi, mais qui n’est pas que de moi et il précise : J’affirme que cette action qui m’est propre est Dieu. Dieu n’est pas un autre que moi, Dieu n’est pas cause de cette action. Cette action en moi qui n’est pas en moi comme les autres, elle est Dieu. Elle signe, pour moi, l’existence de Dieu. Dieu existe en moi. De vécu, je deviens progressivement vivant. Dans toute vie, il y a des occasions d’émerger de la vie de simple moralité à la vie proprement spirituelle. J’ai en moi une activité qui me permet d’être créateur, qui ne peut pas être sans moi puisque je peux très bien refuser telle activité créatrice qui, par certains côtés, léserait d’autres activités auxquelles je tiens. Donc j’ai besoin de l’accueillir. Vous comprenez qu’alors la foi en soi prend une certaine structure, un certain poids, une corporalité. Et cette foi en soi, elle est aussi foi en Dieu. Dieu se rejoint, se reconnaît, se retrouve, se comprend dans ce que je lui permets de réaliser en moi grâce à l’accueil de cette exigence. Il ne s’agit pas d’une obéissance à la volonté divine. Nous touchons à une perspective de durée qui n’est plus tout à fait du temps puisqu’elle n’est pas que de moi. Elle ne passera pas lorsque tout le reste passera.

Celui qui a, en plénitude, vécu la foi en soi et qui nous la révèle, c’est Jésus. Marcel Légaut, disciple de Jésus, nous aide à en percevoir le parfum. À chacun, maintenant, d’en vivre en toute sérénité.