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Par quels mots je m’aventure à parler de Dieu ?

 - Lecture croisée de l’ouvrage de Th.Vincent « Dieu sans religion » et Marcel Légaut –

 

Dieu est à la une de l’édition, des films , des émissions, des magazines.

Du moins le mot Dieu. Ceux qui ont voulu commettre des attentats en son nom lui ont donné une dramatique actualité.
Depuis plus d’un demi siècle, s’exprime une préoccupation, une interrogation sur l’usage de ce nom, parmi les philosophes, les théologiens ( pour n’en citer que quelques uns : « Le concept de Dieu après Auschwitz » –Hans Jonas, « Quand je dis Dieu » de J.Pohier 1977,  « Peut-on nommer Dieu ? » Jossua 2006

Cette interrogation s’accroit (à voir la sélection des textes qui sont proposés par Serge et exposés sur les murs de la Magnanerie.  On y trouve des titres percutants ).

 

Des livres récents, d’écritures diverses en traitent sur des modes différents : F.Carrillo « l’Imprononçable », « Délivrez-nous de ‘Dieu’ » de J-F. Bouthors , « Dieu n’est pas un assureur » de Marc François Lacan , (frère de Jacques), et je laisse un moment la parole à Bernard Feillet (2012  à Saint Jacut) :

 

« Quand je dis Dieu, je ne parle que de moi : de mon désir que j’appelle ma foi, de mon attente que j’appelle mon espérance, de ma présence inventive dans le devenir de l’humanité que j’appelle l’amour. Il n’y a pas de théologie qui puisse échapper au champ clos de notre connaissance humaine. On peut même traduire cette expérience fondatrice en quelques mots décisifs : il ne s’agit pas de Dieu quand je prononce le nom de dieu , mais de mon humanité traversée par le désir de l’infini insaisissable ».

 

Dans les autres religions monothéistes , le sujet est très ancien ou très actuel : Nous savons la sensibilité des musulmans à l’usage du nom d’Allah – intraduisible, le renoncement des juifs à prononcer le tétragramme, nom de Dieu remplacé par Adonaï, pour la lecture....

 

 

Par quels mots je m’aventure à parler de Dieu ? Le sous-titre de la session nous concerne tous certainement  puisque nous sommes-là , nombreux, et les références pour aborder ce sujet sont infinies. Comment choisir ?

 

Légaut , bien sûr , puisque nous sommes en l’un de ces lieux qu’il a contribué à créer. Même si seul le silence, pour lui, était l’indispensable profondeur pour s’approcher du mystère de Dieu, Légaut prononçait quelquefois le mot Dieu , il l’a écrit aussi , bien qu’il déclare (IPAC, p.158) son ignorance intrinsèque par rapport à ces questions : « qui il est pour Dieu, pourquoi et comment Dieu agit en lui ? »

 

Dans le titre de cette intervention, figure celui du livre de Thierry Vincent « Dieu sans religion ». Pourquoi choisir cet auteur ? pas seulement parce que J.Thomas l’avait mis à notre disposition dans la session Cinéma, mais aussi, parce que, psychiatre, psychanalyste, il se dit athée... ni philosophe, ni théologien. « Il ne tient cependant pas Dieu pour rien , et va à la rencontre de sujets qui ne le tiennent pas pour rien non plus.  La question divine ne se réduit pas à un symptôme » (DsR p.7)

 

Je me suis demandé comment Thierry Vincent, de sa place à lui, portait une question que pose Jossua : Comment évoquer Dieu aujourd'hui, dans un monde désacralisé et postchrétien ?

 

Pour T.Vincent, la question religieuse participe à ce moment de crise de la subjectivité contemporaine. Elle  interfère avec d’autres analyses et réflexions du champ social, du  domaine de la politique et / ou  de la  clinique, le lieu de sa pratique.

 

 

Le chapitre 3 a plus particulièrement retenu mon attention : « De quoi Dieu est- il le nom ? »

 

Dans un premier chapitre, il réfléchit au rapport athéisme, laïcité, démocratie

 

à la dissociation entre le religieux et la divinité, comment le sujet de l’athéisme

 

fait apparaître une nouvelle subjectivité.

 

Dans un deuxième chapitre, il présente « Dieu sans puissance » :

 

Dans la modernité, le pouvoir religieux a perdu le pouvoir de gouverner les âmes et les corps. Dieu ne sert à rien , il ne peut pas servir à justifier les massacres, il ne sert pas non plus à la morale , puisque la raison éclaire les hommes, ils sont  responsables de leur destin. Ils n’ont pas besoin d’une loi divine pour les inciter à des attitudes morales .

 

Mais y a–t-il se demande T.Vincent dans le sillage de Kierkegaard, un au-delà de la raison ? La foi n’est-elle pas folie ? K. rapproche l’expérience de la foi de la passion amoureuse. Choisissant la figure d’Abraham, il montre que son obéissance n’a rien de raisonnable, ni de compréhensible. Son geste le pose uniquement dans la fidélité à Dieu. Il ne veut rien démontrer, il n’attend rien.

 

La foi est ce qui assure l’engagement subjectif du sujet, celui qui conduit à un acte où il prend la mesure de lui-même. (DsR p.71)

 

La foi est folie parce qu’elle est (et Dieu avec elle) sans usage. 

 

Cet au-delà de la raison, se référant à Dieu ne risque –t-il pas comme nous le voyons,  de mener au  fanatisme, à la mort, la haine, l’élimination de l’humain ?

 

Ceux qui tuent ou se tuent ainsi, ne sont pas au-delà, mais en deçà de la raison. T.Vincent reprenant pour les fanatiques, l’expression de K. ‘nabots sectaires’, ‘ héros tragiques à bon marché’, les considère en proie à une obsession, partagée avec des amis qui, le poussent à l’acte, et lui font croire, parce qu’ils le soutiennent, que cet acte est juste et vrai. (p.72)

 

Tel n’est pas, toujours pour K. ,  la figure du ‘Chevalier de la foi ‘, qui va seul , chargé de responsabilité, dans la solitude de l’Univers, témoin, jamais maître. Sa voie ne concerne que lui , sa position subjective est l’humilité. (que pensait Légaut de K ?)

 

Toujours à la suite de K.,  T.Vincent se demande si la foi peut-être un mouvement qui en se détachant des aspects religieux, traverse la logique rationnelle  pour aller outre, au-delà ? Et si on la distingue du délire, la foi peut se vivre contre toute raison. C’est un engagement dans lequel la vie du sujet est en jeu . La croyance, elle, raisonnablement fondée sur des doctrines , des dogmes, des rites, n’engage pas de cette manière. La croyance est du côté de la religion, la foi est perpendiculaire à la croyance (p.85). Il y a une dichotomie entre le théologien et l’homme de foi.

 

Après Kierkegaard, T.Vincent convoque Clavel qui, lui aussi fait appel à Abraham pour parler de foi. « Abraham , c’est le commencement absolu du judéo-christianisme, c’est le commencement absolu de la fin des religions, c’est l’irruption de la foi »(p.91) Pour Clavel, la foi est transversale à la religion et à l’Église. Le virage du christianisme par rapport au judaïsme a été de changer le rapport de l’homme à Dieu, ne faisant plus de Dieu une sorte de puissance extérieure , mais au contraire une entité interne que la foi vient révéler.(p.91) 

 

« Le ressort ou moteur psychologique de ce monde est une soif d’être qui engendre un mal-être. J’entends soif de profit (...) soif de pouvoir, soif de jouissance, soif enfin de paraître, bref d’épater son voisin à défaut de l’écraser : vrai moteur de notre fameuse ‘consommation’ » Clavel 1976 .  

 

La foi lui paraît donc, par essence révolutionnaire : non seulement parce qu’elle vient subvertir la croyance, fut-elle religieuse, mais aussi parce qu’elle est  subversion du sujet (DsR P. 92)

 

La foi dans le Christ est la véritable révolution. La révolution est « de mourir à soi-même pour ressusciter en nous-mêmes ».Clavel 1976.(p.92) « Il n’y a pas de valeurs chrétiennes(,...) le christianisme ne reconnaît aucune valeur ».Clavel 1976 (P.93).

 

Il n’y a pas de valeur à accorder à la foi comme on en donne à un objet. Les valeurs sont du côté de l’éthique et non de la foi . Dieu est « sans usage ».

 

 

« De quoi Dieu est-il le nom ? » c’est le titre du 3ème chapitre, et c’est une question. Un peu plus loin dans ce chapitre, T.Vincent s’exprime sous forme d’hypothèse : « Si Dieu était un nom... »

 

Je retiendrai de ce chapitre la référence à deux auteurs : Jacques Lacan, psychanalyste, et Marcel Gauchet, philosophe, historien et sociologue.

 

Lacan sépare la question religieuse de celle de la divinité. La fonction de la divinité, pour lui, n’est pas d’être garante d’un ordre initiant des sujets dans le respect des dogmes et des prescriptions. La fonction liée à la divinité , la plus essentielle, est d’être un lieu d’appel, d’invocation , à partir duquel la parole se constitue parce que « être un homme, c’est être un sujet constitué par ses actes et ses engagements » (p 100, 101) . Il dégage Dieu de la gangue religieuse, et va jusqu’à dire que le dispositif religieux peut être  là pour protéger de la proximité brûlante avec Dieu (p. 102) . (Comment ne pas penser aussi à Madeleine Delbrêl, qui après avoir écrit à 17 ans : ‘Dieu est mort, vive la mort’, reconsidère , dans un groupe d’amis chrétiens , l’existence de Dieu , vit une conversion totale, et reste, comme elle dit encore à 60 ans, ‘éblouie de Dieu’).

 

Sur la religion, la phrase de Marcel Gauchet , est devenue célèbre « Le christianisme est la religion de la sortie de la religion ». Il entend par là qu’il s’agit de la sortie d’un monde où la religion est structurante, où elle commande la forme politique des sociétés et définit l’économie du lien social.

 

Tout en indiquant le déclin de la puissance religieuse, il souligne  aussi « un désenchantement » des valeurs laïques. La République se donne des valeurs fondamentales, mais elles ne parviennent pas à se traduire  en consensus qui permettrait un agir humain favorable. (D’ailleurs  un consensus qui ferait appliquer pour tous, ‘le bien’ unanimement défini, ne fait-il pas penser à des programmes totalitaires ?...La tentation du bien, comme dit Todorov, est plus dangereuse que celle du mal) .

 

Gauchet fait ressortir enfin que l’affranchissement religieux du monde occidental a permis l’essor du capitalisme. Ce qui a eu pour conséquence dramatique que le sujet devienne une marchandise, ramené au rang d’un objet parmi d’autres. Dans un monde en proie au néo libéralisme, l’État providence ne protège ni de la prolétarisation, ni de l’aliénation humaine. Quelle attitude adopter ? Certains radicalisent les valeurs religieuses, et veulent trouver de cette manière, un rempart à la dictature de l’objet et de sa consommation. (DsR p.104)

 

L’individu, qui ne veut pas se laisser prendre dans les pressions à la consommation, dans le relativisme, le formatage idéologique, et veut vivre et faire vivre la démocratie, n’échappe pas à un certain prix de désarroi à payer et à l’angoisse du ‘que faire’ ?. Confronté , dans la singularité  de sa vie aux questions essentielles, de vie, de mort, de transmission, de sexe, d’ex-sistence, la question  de la prise de décision, mais aussi la question du sens deviennent prégnantes . (comme en témoignent , entre autres, de nombreuses réflexions  philosophiques ou essais : J-L Nancy 1993, De Foucauld 1996, Mattei 2à06... mais aussi   une si forte attente de solutions par les thérapies , individuelles ou de groupe, de préférence rapides.)

 

Dans « la religion, dans la démocratie », l’homme contemporain, note Gauchet, ne veut plus une ‘offre de sens qui lui propose une normalité’ ni ce qui peut parfois être proposé dans ces thérapies comme ‘une injonction de sens’ mais il attend que  sa ‘demande de sens ‘  puisse être reconnue. (DsR p.109)

 


Alors peut commencer , comme dit T.Vincent la quête de sens. Pour ceux qui sont en quête de sens, il s’agit de cheminer, car ce qui importe dans la quête c’est moins le but que le cheminement.(DsR p.109)

 

Plutôt que de ramener la question religieuse à des schémas et des idéologies du passé, T.Vincent cherche une nouvelle façon de penser l’homme dans le lien à ses semblables et à la raison. En laissant place à Dieu, allégé du poids institutionnel, séparé de ‘ses’ religions, une nouvelle position subjective peut émerger et ouvrir une perspective à la question qui prend chaque jour une plus grande acuité : Comment vivre ensemble ? Ce propos se répartit en deux paragraphes : ‘Une nouvelle intimité’ , ‘Faire face à l’abîme’.

 

 

« L’espace de ce cheminement (= la quête de sens) appelons-le intimité. Cet espace souvent connoté à la sexualité, peut être devenu le lieu électif de Dieu » (p. 110)

 

La religion relève de l’espace public, Dieu relève de l’intime. L’intime est un lieu de partage ‘réservé’, il est réserve partagée, le plus souvent à deux, une mise à l’abri. Il n’y a pas de connaissance de l’intime sans un autre avec qui le partager.(p. 110, 111)

 

Pour le psychanalyste, « ce lieu ‘en réserve’ est borné et bordé par le désir ». Ce n’est pas l’espace privé, c’est un lieu vacillant, incertain, en partie inconnu du sujet lui-même, toujours en construction, en émergence. L’intime dessine un espace à la limite de la pensée et du pensable.(...) L’espace intime abolit le moi, le soustrait au regard d’autrui. Dans l’intimité les personnes (au sens étymologique de ‘masque’)  s’évanouissent au profit d’un’ entre deux’  qui est un ‘entre nous’ (cet entre nous qui nous fait humain... Bellet). Dans le nous, il y a de l ‘écart. On peut se taire, le langage qui joue le rôle de communication et de lien à autrui n’est plus nécessaire. Une qualité de ce lieu est « l’innocence ». Innocent comme l’est par excellence le désir du sujet. Le désir est innocent parce qu’il ignore son objet. » L’intimité n’a pas d’objet, elle est pur partage, pure proximité...(p.111)

 

C’est pour cela que l’intime est l’espace de la foi. Une foi sans ostentation, ni prosélytisme, un lien à Dieu qui n’est pas dieu du besoin, dieu d’usage, ni dieu Père, ni démiurge.(p.112)

 

T.Vincent note que cette reconnaissance de l’intime peut se jouer aussi dans la lecture. La lecture et surtout la relecture, suscitent une intimité avec leur auteur,(p.112) qu’il s’agisse de textes spirituels ou de textes ‘sacralisés’. Pour que ces textes permettent une approche de Dieu, ils doivent rester ouverts à l’interprétation à l’infini...surtout ne pas les trahir par une interprétation fondamentaliste !

 

Le partage dans l’intime avec un autre implique l’humilité (qui n’a bien sûr, rien à voir avec l’humiliation) . L’humilité vient limiter la jouissance, elle est le fruit du renoncement à la toute puissance. L’humilité est la condition d’un désir qui ne se transmue pas constamment en jouissance parce qu’il ne fusionne pas avec son objet au point de l’abolir, mais se tient dans une proximité suffisante avec l’autre, parce qu’il est foi en l’autre . Dans l’intime, il n’y a pas de relation d’objet. (p. 113)

 

Dieu prend ici la figure de l’Autre,(Légaut dit : l’absolument autre) vers qui se tourner, vers qui s’enquérir, vers qui se consoler vers qui espérer et vers qui attendre. Ce dieu qui se tait ou ne répond pas, établit dans le sujet un vide, où se joue un autre rapport au monde, moins immédiat, moins pratique, moins opératoire, plus suspendu et sans doute suspensif. (p. 113)

 

Pour l’Occident, Dieu en tant qu’Autre est la nomination par excellence  du tiers. p. 114)

 

> (...) Si Dieu est un nom, il est celui de la possible instauration du tiers dans les affaires humaines et dans la possibilité de cette étrange figure subjective qu’est l’intimité. La foi seule, est folie, sectarisme. La raison isolée est pauvreté subjective et soumission à la relation d’objet et d’usage.. (...) Penser l’intime, l’intime de la foi, c’est cheminer à rebours du fantasme contemporain gestionnaire qui vise de façon totalitaire aussi bien les entreprises, que les émotions, le temps, l’argent. (p.115)

 

Dans la pauvreté idéologique de l’idéal gestionnaire ou le repli communautariste et religieux, l’Homme se dissout (p.116), et si l’Homme se dissout, le sujet se retrouve face à l’abîme, au gouffre, et, au plus profond de l’intimité, il n’y a plus de chemin.(p. 117)

 

> Si Dieu est un nom, il désigne la tension entre la raison et l’abîme où l’homme est convoqué, et dont la fonction, ce que les mystiques avaient perçu, n’est dicible que par les oxymores :(citation de quelques uns) là où le vide est central et d’où surgit la possibilité de lui donner forme, là où l’absence est le sommet de la présence, là où la vérité s’énonce sans certitude,.... là où la mortalité est résurrection, là où se marierait foi et raison.....(p.117)

 

L’homme défait du prêt-à-porter religieux se présente seul et dépouillé face à l’abîme, ne disposant que de sa foi. Il chemine au bord du gouffre avec humilité, prêt au sacrifice dans un monde où l’on ne veut rien perdre et plutôt accumuler.

 

 Il est face à l’altérité radicale, au tiers primordial, l’abime en vérité ne lui tendant aucun miroir et ne lui renvoyant aucun écho. Mais c’est alors que la parole vient à lui et à travers lui et c’est à partir d’elle qu’il peut recommencer à penser, à créer, à inventer. (p.118)

 

> Si Dieu est un nom, c’est qu’il est alliance, possibilité et promesse, pour ne pas tomber, pour revenir autre qu’au départ et pour aller agir dans le monde. (p.118)

 

 

En m’intéressant à ce livre d’un contemporain, je me demandais  comment il pouvait dire  Dieu, sans être croyant, dans un langage non religieux,

 

attentif cependant à ce qu’il appelle la crise de la subjectivité dans nos sociétés, dans la démocratie .

 

Vous aurez remarqué l’importance que T.Vincent , donne à repenser la dimension de subjectivité en refusant que le sujet devienne objet, la dimension d’intimité, en y mentionnant  l’entre, l’écart , l’espace marqué par l’autre, l’Autre vers qui..., le tiers ainsi que le mouvement...le cheminement

 

Il y a aussi bien des mots de ce petit livre qui entrent en résonnance avec ceux de Légaut. Ils tendent à renouveler la question de Dieu, dans un contexte où s’exacerbent des identités, où des tensions et même des violences, des massacres se font jour  . Des mots se ressemblent mais Légaut a franchi le pas de la foi, sa position de croyant est singulière et si  nous trouvons le mot intime dans la langue de Légaut c’est pour le lier souvent aux « exigences » , mais pas seulement.

 

 

La dimension de mouvement décrite par T.Vincent se trouve  aussi  chez Légaut (pas seulement par tous les pas très concrets qu’il a faits, mû par sa mission) mais aussi à l’intime, ce qu’il nomme les motions. Il parle de la vie spirituelle en termes de cheminement, d’itinéraire . Le mot même de devenir,  indique un refus de la fixité.

 

La dimension d’’espace’ est assez présente dans le développement de la reflexion de T.Vincent . C’est peut-être davantage à la dimension du temps que les écrits de Légaut peuvent nous rendre attentifs.

 

 

Venons-en à  Légaut : comment s’est-il aventuré à parler de Dieu ?

 

C’est toute son œuvre qui en témoigne. Il a dit, il a agi, il a écrit,  pour s’avancer sur cette question.

 

Il a dit .

 

Légaut ne prononçait pas fréquemment le mot ‘Dieu’. Nous avons peut-être été témoins si nous l’avons rencontré, de ces moments exceptionnels où Légaut, alors qu’il nous parlait, soudain perdait la voix . Un silence immense s’établissait, silence de communion sans pouvoir imaginer à qui, lui, communiait. Revenant vers nous, il disait d’une voix humble et ténue : « J’étais en présence de Dieu ». Légaut accorde la plus haute importance, la plus haute signifiance au silence pour faire l’approche du mystère de Dieu, qui ne se dissocie pas du mystère de l’autre.

 

 

Peut-être répondait-il  à une demande des carmélites de Mazille, en avril 1990

 

lorsqu’il a, dans le temps de l’homélie, tenu cette parole (dont la mise en page  fait partie des textes exposés ici)

 

Comment parler de Dieu sans en dire trop ?

 

Comment en dire assez pour évoquer ce qui en moi, est la réalité de ce que je vis.

 

Légaut avait anticipé le sujet de la session !

 

Comme il tente, avec quelle réserve ! d’aborder ce sujet , je ne ferai pas de commentaire.

 

LECTURE ( Remise en fin de matinée du texte dit à Mazille)

 

Malgré l’impossible, mais comme dit un poète, « à l’impossible on est tenu », Légaut voulait dire (par la voix ou par l’écrit) ce qu’il atteignait de Dieu, cela faisait corps avec sa mission.

 

On connaît par le livre ‘Prières d’homme ‘l’importance donnée aux questions : après le mot Dieu, page 49 viennent cinq questions, fortes de leur paradoxe . C’est leur paradoxe qui ‘parle’ en secret ; le plus fort de ces paradoxes, étant qu’après avoir nommé cinq fois, une question différente (elles ne font pas nombre entre elles) il parle d’un socle mystérieux d’union si chacun s’affronte à cette question (au singulier) dans le silence. 

 

Page 40, et suivantes, il se sert de métaphores « Action inséparable de l’être qu’elle visite... Source des exigences intimes....Origine des appels des profondeurs de l’homme...Moteurs des intuitions dans les recherches  de l’homme....Éclairs qui illluminent le cheminement de l’homme... »

 

Page 47, il nomme Dieu de différents qualificatifs (empruntant la figure de l’oxymore « l’Être non étant » et la préposition « sans » ‘sans  passé sans avenir, sans commencement, sans fin.... . Il crée  cette expression ‘l’acte en acte’ qu’il reprend dans ses écrits  « un acte qui n’est pas que de moi et qui ne serait pas sans moi » ...que nous répétons  peut-être à la manière d’un mantra.

 

J’avoue que j’ai plus d’une fois, cherché une représentation de cet ‘acte en acte’, qui déjà pour Légaut était une représentation

 

 

et relisant Dieu et l’Univers dans IPAC p.158 je trouve ces lignes :

 

(Légaut parle d’une expérience, de son expérience)

 

La foi en Dieu que l’homme atteint et reçoit simultanément, lorsque des questions extrêmes le dressent face à lui-même, ne présente en dehors de son affirmation nue et abrupte, aucun contenu intellectuel. Le croyant attribue cependant à Dieu l’origine de ceratines motions intimes dont, sans les trahir, il ne peut rendre compte, à partir de ses possibilités ordinaires. Ces mouvements intérieurs en effet, l’élèvent au-dessus de son état habituel , comme il ne saurait le faire par sa seule initiative.

 

Il y a une action divine en lui qu’il a un besoin inéluctable de se représenter

 

Cette représentation ne peut mériter le nom de vérité au même tire que ses autres connaissances. ( IPAC p. 160)

 

Lorsque la représentation de l’action divine dans le Monde n’a pas été transformée par des progrès comparables à ceux qui ont changé la manière de concevoir la relation de Dieu  avec l’homme, elle se trouve en porte à faux par rapport à tout ce que l’esprit moderne pense nécessairement  à la lumière de la science.(p. 164)

 

Comment croire en Dieu quand l’homme ne sait plus comment concilier l’action divine , avec ce qu’il sait et voit dans le monde ? (p.164)

 

La représentation de l’action de Dieu dans le monde, est éclairée par la connaissance que l’homme a de lui-même  quand il est créateur. Cherchant des expressions justes pour traduire sa plus haute activité, l’homme a inventé le verbe créer. Il l’oppose au verbe faire. (p. 164-165)

 

Entre l’action créatrice de Dieu et celle de l’homme, il y a une similitude linguistique qui n’implique pas l’identité des deux actions , mais tire sans doute son origine de quelque secrète liaison. (p.165)

 

Quand l’homme atteint la foi en dieu par ses progrès dans l’intériorité,  grâce à cette foi, il décèle la nature divine de l’action divine qui se fait en lui lorsqu’il est créateur. (p. 166)

 

Viennent alors les pages où Légaut dit le cheminement de son esprit, accompagnant de mots communs (ni philosophiques, ni théologiques) ce qui se passe lorsque l’homme est dans l’activité créatrice , lorsqu’il parvient à l’œuvre créée.

 

Cette œuvre participe à la création de l’homme après avoir été créée par lui. Elle entre dans l’existence de son auteur du mouvement même qui la fait sortir de lui. Mystérieux embrassement où créateur et création s’étreignent pour une fécondité mutuelle.(...)  L’œuvre qui naît (...) est à l’image de ce qu’il devient.. Même sortie, du temps étincelant du jaillissement, tenue entre les mains du créateur elle continue à agir sur lui. (p. 172)

 

 

Lecture du paragraphe p. 175 : Cheminements de l’action créatrice

 

 

Page 176 : Quand l’action créatrice se développe avec puissance, est-ce alors l’écoulement du temps qui disparaît , soustrait à la conscience du créateur par l’attention qu’il porte à son acte et par le contact qu’il a avec sa propre consistance , intimement associé à cet acte et rendue manifeste par celui-ci ? (...)

 

L’étonnement le saisit devant sa création, il demeure tant que l’homme sait voir ce qu’il a créé comme s’il le créait encore Il conserve la conscience vive de ce qu’il était devenu en cette heure qui n’est plus tout à fait de ce monde. Différents de tous les autres étonnements qui ne sont que des surprises, il est émerveillement. Émerveillement qui le porte au seuil de l’adoration dans la vacuité.

 

L’étreinte créatrice , faite de luttes et de souffrances se résout finalement en la joie de l’hymen (p. 176)

 

Page 177 : Création et paternité

 

L’homme en suivant le cheminement de son esprit quand il crée découvre l’originalité foncière de cette action. Il prend ainsi conscience autant que cela est possible de sa plus haute activité qui est aussi de façon inséparable activité de Dieu en lui. Il approche l’impensable action de Dieu sur l’Univers.

 

 

 

À tort ou à raison, j’ai considéré ce chapitre(p.158 à 179),  dont j’ai seulement extrait quelques phrases, comme un texte-source pour entrer un peu plus dans la signification plus profonde que pouvaient prendre les mots choisis pour la prière.

 

Le cheminement patient de Légaut pour dire l’expérience créatrice  m’a éclairée, aussi , sur  ce qu’il pouvait entendre, par exemple , par l ‘Nommer – Dieu - à partir de sa propre substance, ou bien ‘mon’ Dieu,  et certaines expressions qu’il utilise dans la prière ‘O Toi, qui est toi-même...’ .

 

Il nous invite essentiellement  à devenir créateur pour approcher le mystère de Dieu, et se laisser créer dans une relation mutuelle, créateur et création .

 

 

Dieu ne peut être pensé, dit Légaut

 

Il écrit dans ‘Prières d’homme’ : Entrer dans l’intelligence de l’action de Dieu....

 

Le mot intelligence a bien des significations, aucune ne peut être la définitive ! En lisant M-F. Lacan, dans un paragraphe  sur Foi et croyance , j’ai pensé que le sens qu’il donne à ‘intelligence’ pouvait convenir à Légaut :

 

Croire vient d’un verbe latin : Credere , il réunit le mot cœur au mot donner : cred et dare. Croire, c’est donner son cœur. Le mot cœur , en latin désigne le principe intérieur de la pensée, il est en rapport avec l’intelligence , cette capacité de lire à l’intérieur des êtres .Pour Légaut , on pourrait dire : « en commençant  en lui-même... »

 

 

et cette autre citation de M-F.Lacan, ne l’aurait-il pas fait sienne ?

 

Vivre la vie, comme une réalité dont l’expérience  va nous faire découvrir non pas comment la concevoir, mais plutôt comment l’inventer.

 

 

Devenir créateur...il se peut que cela paraisse trop ambitieux, inatteignable à certain(e)s. . J’en appellerai ici, à un psychanalyste  contemporain, Winnicott, qui dans sa pratique a accompagné des milliers d’enfants et d’adultes. Il ne cessait d’affirmer que la capacité créatrice est en tous. Il s’y fiait profondément pour les séances de thérapies , mais il la voyait aussi se développer dans le jeu , dans l’expérience culturelle (musique, lecture, peinture) , ce ‘lieu où nous vivons’, et il aimait citer avec humour, des gestes simples de la vie quotidienne comme cuire des œufs sur le plat.... !

 

« Découvrir l’extraordinaire de Dieu, dans l’ordinaire des jours » aurait dit Madeleine Delbrêl.

 

                                                                                                                                                Marie-Thérèse Weisse